Oliver Gallmeister, cow-boy de l’édition

Il y deux genres de portraiturés : ceux qui pensent sincèrement qu'ils n'ont rien à faire dans ces pages et tous les autres, qui font leur chattemite. Au départ, on s'est dit qu'Oliver Gallmeister minaudait. Puis à force d'écouter sa résistance, il fallait se rendre à l'évidence : le fondateur des éditions Gallmeister ne veut parler que de ses livres et de ses auteurs. "On ne parle jamais du flacon qui couve un excellent cru", assure ce quadra au regard pétillant. Certes, mais la bouteille a toujours son importance.

Depuis 2005, le monde de l’édition français compte donc une maison de plus. Une maison sans prétention qui a fait son trou en publiant un genre particulier : le nature writing, spécialité américaine qui propulse le lecteur dans les grands espaces. D’où la patte d’ours qui orne chacun des titres, comme un coup de griffe à l’étriqué du quotidien.

 

Dans la bruissante rue du cherche midi, attablé à une brasserie, Gallmeister raconte qu’il a bien failli manquer sa vocation. Après des études d’économie à Paris-Dauphine, puis à Science-Po, il finit consultant chez Arthur Andersen. « Pourtant, je voulais être journaliste, travailler dans la culture. » Mais ses CV ne séduisent ni le monde de la presse ni celui de l’édition. Il s’asphyxie lentement dans le contrôle de gestion, puis joue au méchant cost-killer chez Hachette distribution. Magistral loupé « J’étais malheureux comme les pierres », confie celui qui séchait les réunions pour lire aux toilettes. Quand sa mère meurt d’un cancer, à 59 ans, c’est le déclic. « Je n’allais pas passer ma vie à faire un boulot que je n’aimais pas. » En février 2005, à 35 ans, c’est la quille. Gallmeister négocie un départ qui lui permet de créer sa petite entreprise. L’ « outre-lecteur », biberonné aux classiques français, russes et américains (Scott Fitzgerald, Hemingway, Tennessee Williams et, plus tard, Jim Harrison…), aime la nature et les polars. Mieux, il est fasciné par les livres de la pêche à la mouche. En flashant sur le « Traité du zen et de l’art de la pêche à la mouche » de John Gierach, qui lui file le virus du lancer les pieds dans l’eau, il se demande pourquoi ces livres ne sont pas traduis en français. Le nostalgique des romans d’aventure a une idée simple mais efficace : il éditera exclusivement de la littérature américaine contemporaine.

 

 

 

Quelques mois plus tard, il sort ses deux premiers titres, quasi simultanément : le Gang de la clef à molette et Vingt-cinq ans de solitude. On ne peut faire plus différent : le premier est le polar furibard du grand Edward Abbey, paru en 1975, qui met en scène les sabotages de sympatoches éco-warriors. L’autre ouvrage est un classique de la littérature du Grand Nord, récit initiatique d’un gars installé dans une cabane isolée en Alaska en 1947. Le ton est donné. Gallmeister lit directement en anglais des récits poétiques, philosophiques, lunaires ou fondateurs, tous imprégnés de la nature majuscule de l’Ouest américain, où l’homme fait figure, au choix, de microbe incapable ou de contemplatif avisé. La collection séduit les amoureux des grands espaces, les écolos et les voyageurs, certes, mais Gallmeister n’est pas prosélyte. « En ce qui concerne l’écologie, quand on parle à leur raison, les gens ne comprennent pas. Autant les toucher au coeur. Nos livres font ça. Mais je réfute le terme d’éditeur militant ou écolo ». La preuve, sa maison s’est dotée de deux collections supplémentaires : la « Noire », délicieusement sombre, et « Americana », plus urbaine mais tout aussi contestataire.

Depuis 2005, le monde de l'édition français compte donc une maison de plus. Une maison sans prétention qui a fait son trou en publiant un genre particulier : le nature writing, spécialité américaine qui propulse le lecteur dans les grands espaces. D'où la patte d'ours qui orne chacun des titres, comme un coup de griffe à l'étriqué du quotidien.

Cet amour du dehors lui vient de Corrèze. Enfant, Oliver Gallmeister y a passé tous ses étés en solitaire, sans frangins ni cousins avec lesquels fomenter les pires âneries. Dans les années 80, dans le coin, l’époque n’est pas encore aux salutaires DVD qui comblent les après-midi pluvieux, et encore à la console de jeux. « Je passais ma vie dehors. J’emmenais des livres dans mon sac à dos, pour lire près des ruisseaux ou dans les champs ». Au milieu d’histoires d’îles aux trésors ou de cow-boys, il taquine les grenouilles et capture les phases, ces insectes rois de la dissimulation. Rempli des récits de Jack London ou de Fenimore Cooper, il rêvasse des heures durant devant des gendarmes, ces petits insectes aux hiéroglyphes rouge et noir. « J’ai été fasciné et façonné par ces étés ». Surtout, le gamin n’a personne sur le dos. Ni en Corrèze, pendant les vacances, ni à Paris, où il vit avec sa mère. Ses parents ayant divorcé avant sa naissance, il n’entretient que des rapports distants avec son père, prof de français en Allemagne, et sa mère n’est pas du genre à l’étouffer. « A 8 ans, je prenais le métro tout seul, j’étais totalement libre, j’adorais ça. » Puis l’enfant des étangs mue en étudiant au mode de vie très parisien.

 

Gallmeister est un des ovnis du monde germanopratin de l’édition. Même si ses bureaux sont situés dans le VIème arrondissement, il fuit ses homologues auxquels il préfère, de loin, la compagnie des libraires qu’il visite comme un forcené. « Sans eux, nous n’existons pas ». Au début, il a continué à vivre en Bretagne, jusqu’à ce que les douze heure de train hebdomadaires aient raison de lui. « Moi, j’aimais la voile, mais ma famille, pas trop. Il n’y avait guère de raison de rester. » Sa femme, professeure de droit, change de boulot et devient journaliste. Désormais, la famille vit à Bagneux, dans un pavillon, avec labrador et chat. Il adore travailler chez lui et se targue d’être là, à l’heure du goûter, quand ses trois enfants déboulent de l’école et du collège. « Je suis un peu comme le canapé : je suis là. Ils me voient et c’est bien comme ça. »

 

Même si elle évite ses congénères, la bouteille Gallmeister développe parfois des amitiés profondes avec le vin qu’elle abrite. Cet été, sa petite famille est partie rejoindre celle de Pete Fromm, auteur du jubilatoire Indian Creek, dans le décor d’un de ses livres. La troupe a marché, pêché et fait griller des steaks du côté du Missoula, dans l’état du Montana. Avant de partir, le dingue des Etats-Unis s’en pourléchait les babines : « Le Montana, c’est 900 000 personnes réparties sur un territoire de la taille de l’Allemagne. La nature est partout, à tel point qu’il est inutile de croiser le grizzly pour savoir qu’il est là. Il est là. Il y a une vie sauvage, au sens propre du terme. Ce n’est pas comme en France, où tout n’est que gestion de l’espace, où partout, on sent la main de l’homme. Là-bas, les rivières ne sont pas entretenus, on laisse brûler les feux de forêts. » Depuis peu, le boulimique de livres apprend à désencombrer ses étagères. « Je ne garde plus que ce que je conseillerai un jour, à mes enfants par exemple, voir ce que je relierai. Less is more. » Un peu comme dans les grands espaces.

Depuis 2005, le monde de l'édition français compte donc une maison de plus. Une maison sans prétention qui a fait son trou en publiant un genre particulier : le nature writing, spécialité américaine qui propulse le lecteur dans les grands espaces. D'où la patte d'ours qui orne chacun des titres, comme un coup de griffe à l'étriqué du quotidien.

Cet amour du dehors lui vient de Corrèze. Enfant, Oliver Gallmeister y a passé tous ses étés en solitaire, sans frangins ni cousins avec lesquels fomenter les pires âneries. Dans les années 80, dans le coin, l’époque n’est pas encore aux salutaires DVD qui comblent les après-midi pluvieux, et encore à la console de jeux. « Je passais ma vie dehors. J’emmenais des livres dans mon sac à dos, pour lire près des ruisseaux ou dans les champs ». Au milieu d’histoires d’îles aux trésors ou de cow-boys, il taquine les grenouilles et capture les phases, ces insectes rois de la dissimulation. Rempli des récits de Jack London ou de Fenimore Cooper, il rêvasse des heures durant devant des gendarmes, ces petits insectes aux hiéroglyphes rouge et noir. « J’ai été fasciné et façonné par ces étés ». Surtout, le gamin n’a personne sur le dos. Ni en Corrèze, pendant les vacances, ni à Paris, où il vit avec sa mère. Ses parents ayant divorcé avant sa naissance, il n’entretient que des rapports distants avec son père, prof de français en Allemagne, et sa mère n’est pas du genre à l’étouffer. « A 8 ans, je prenais le métro tout seul, j’étais totalement libre, j’adorais ça. » Puis l’enfant des étangs mue en étudiant au mode de vie très parisien.

 

Gallmeister est un des ovnis du monde germanopratin de l’édition. Même si ses bureaux sont situés dans le VIème arrondissement, il fuit ses homologues auxquels il préfère, de loin, la compagnie des libraires qu’il visite comme un forcené. « Sans eux, nous n’existons pas ». Au début, il a continué à vivre en Bretagne, jusqu’à ce que les douze heure de train hebdomadaires aient raison de lui. « Moi, j’aimais la voile, mais ma famille, pas trop. Il n’y avait guère de raison de rester. » Sa femme, professeure de droit, change de boulot et devient journaliste. Désormais, la famille vit à Bagneux, dans un pavillon, avec labrador et chat. Il adore travailler chez lui et se targue d’être là, à l’heure du goûter, quand ses trois enfants déboulent de l’école et du collège. « Je suis un peu comme le canapé : je suis là. Ils me voient et c’est bien comme ça. »

 

Même si elle évite ses congénères, la bouteille Gallmeister développe parfois des amitiés profondes avec le vin qu’elle abrite. Cet été, sa petite famille est partie rejoindre celle de Pete Fromm, auteur du jubilatoire Indian Creek, dans le décor d’un de ses livres. La troupe a marché, pêché et fait griller des steaks du côté du Missoula, dans l’état du Montana. Avant de partir, le dingue des Etats-Unis s’en pourléchait les babines : « Le Montana, c’est 900 000 personnes réparties sur un territoire de la taille de l’Allemagne. La nature est partout, à tel point qu’il est inutile de croiser le grizzly pour savoir qu’il est là. Il est là. Il y a une vie sauvage, au sens propre du terme. Ce n’est pas comme en France, où tout n’est que gestion de l’espace, où partout, on sent la main de l’homme. Là-bas, les rivières ne sont pas entretenus, on laisse brûler les feux de forêts. » Depuis peu, le boulimique de livres apprend à désencombrer ses étagères. « Je ne garde plus que ce que je conseillerai un jour, à mes enfants par exemple, voir ce que je relierai. Less is more. » Un peu comme dans les grands espaces.

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