La commission d’enquête parlementaire sur l’alimentation industrielle et ses impacts sanitaires et environnementaux vient de rendre son rapport. Auditionné, le chercheur Anthony Fardet présente ici son analyse et ses propositions radicalement novatrices.
Avant toute chose, je pense qu’il est important de rappeler le potentiel santé d’un aliment. Il ne peut plus être réduit à sa seule composition nutritionnelle. Sur la base des résultats scientifiques les plus récents, j’ai donc redéfini ce potentiel comme la combinaison des effets « matrice » et « composition ». Cependant, la matrice vient en premier car nous consommons des matrices alimentaires, pas des nutriments. Ce que nous mettons dans notre bouche c’est un aliment, pas des glucides, lipides, protéines, fibres, minéraux, vitamines…
Cette non prise en compte de l’effet « matrice », et donc la vision réductionniste de l’aliment qui ne le considère que comme une somme de nutriments, est à l’origine des aliments ultra-transformés (AUT) fractionnés-recombinés ; car après tout si l’aliment n’est qu’une somme de nutriments on peut bien le fractionner puis recombiner à l’infini ! Aussi, il y a une relation à bien saisir si l’on veut apporter des solutions efficaces aux problèmes d’alimentation : c’est l’association « pensée réductionniste – AUT – maladies chroniques ». La pensée réductionniste étant à l’origine des maux modernes de l’alimentation, c’est par là qu’il faut apporter un changement de paradigme vers plus d’holisme et donc commencer par prendre en compte l’effet « matrice » de l’aliment ; ce qui dire au final : « respecter au maximum le matrice alimentaire ».
Les AUT, aliments ultra-tranformés, sont caractérisés dans leur formation par l’ajout d’au moins un ingrédient et/ou additif cosmétique à usage principalement industriel pour imiter, exacerber ou restaurer des propriétés sensorielles (texture, goût et couleur). On distingue deux groupes :
Les « faux » aliments ou « fake foods » qui sont des matrices artificielles crées de toutes pièces par l’homme à partir d’une recombinaison d’ingrédients, nutriments et/ou additifs, et contenant très peu de vrais aliments. On y trouve les confiseries, les sodas, yaourts à boire, barre chocolatées, de nombreux desserts lactés et snacks sucrés, salés ou gras, nuggets.
De nombreux plats industriels contenant de vrais aliments à la base mais additionnés d’un ou plusieurs ingrédients et/ou additif cosmétiques.
La présence d’au moins un composé cosmétique est donc le marqueur de l’ultra-tranformation car les vrais aliments n’ont pas besoin que l’on modifie leur couleur, texture ou goût. Pour les reconnaître il faut lire la liste des ingrédients sur les emballages : plus la liste des additifs (E) est longue et moins vous reconnaissez les noms des ingrédients plus vous avez de chance d’être en présence d’un aliment ultra-transformé. La présence de colorant, texturant et exhausteur de goût industriels doit alerter.
Pour le nutritionniste Anthony Fardet, le régime protecteur universel tel que défini par la science est un régime riche en produits végétaux, peu transformés et variés. On protège ainsi à la fois notre santé, le bien-être animal et l’environnement.
Le concept d’AUT est récent. Il a été défini par la première fois en 2009 par des épidémiologistes brésiliens en santé publique à l’université de Sao Paulo. Ce nouveau concept est une « petite » révolution car pour la première fois était distingués, au sein de tous les aliments transformés, ceux qui posent réellement problème pour la santé humaine.
A part poser un problème pour la santé lorsque consommés régulièrement, ces aliments menacent également toutes les autres dimensions de la durabilité de nos systèmes alimentaires ce qui en fait un indicateur balistique facile à actionner par tout à chacun au quotidien pour protéger, dans un cercle vertueux, la vie humaine (santé globale et maladie chroniques), animale (bien-être et biodiversité) et végétale (environnement, climat, biodiversité et pollution). L’AUT n’est donc que la « partie émergée de l’iceberg »ou « l’arbre qui cache la forêt » d’un système réductionniste arrivé à bout de souffle.
Dit autrement, plus la population mondiale consommera d’AUT plus toutes ces dimensions de la durabilité seront détériorées.
Concernant la santé, il est étonnant d’observer que l’explosion des prévalences de maladies chroniques dans nos pays occidentaux ainsi que la baisse ou la stagnation de l’espérance de vie en bonne santé est concomitante avec l’arrivée massive des AUT dans les rayons de nos super et hypermarchés dans les années 80. Aujourd’hui, une consommation excessive d’AUT a été associée avec un risque accru d’obésité, diabète de type 2, adiposité/excès de poids, notamment chez les plus jeunes !, syndrome métabolique, hypertension, cancers totaux et syndrome de l’intestin irritable. Bien que la qualité des études varie (mélange d’études transversales et de cohorte), ces résultats interpellent et nous incite à la prudence par principe de précaution.
Outre les maladies chroniques, ces AUT fractionnés-recombinés et raffinés sont aussi sources de colories « vides », vides de composés protecteurs (fibres, minéraux, vitamines et antioxydants) : leur consommation régulière peut donc aussi entrainer des déficiences en fibres et mirconutriments, amenant les consommateurs à s’orienter vers toujours plus de compléments nutritionnels pour corriger ce déséquilibre dans une espèce de cercle vicieux – plutôt que de revenir à une vraie alimentation.
Les AUT sont souvent à bas coût. Pour arriver à des prix toujours plus bas on rogne sur les matières nobles ou vrais aliments et on remplace par une kyrielle d’ingrédients et/ou additifs industriels cosmétiques.
Les AUT sont souvent à bas coût. Pour arriver à des prix toujours plus bas on rogne sur les matières nobles ou vrais aliments et on remplace par une kyrielle d’ingrédients et/ou additifs industriels cosmétiques. Les produits animaux des AUT sont très rarement de bonne qualité : dans un nuggets de poulet ou de poisson vous n’avez pas les meilleures parties de l’animal. Et les animaux à l’origine sont des animaux élevés en intensif dans des conditions rarement respectueuses de leur bien-être et de leurs besoins fondamentaux. Donc il n’est pas exagéré de dire que de consommer de la viande au sein d’un AUT, c’est contribuer et renforcer la souffrance animale.
Les AUT sont formulés et emballés pour être prêts à consommer sans aucune préparation. Cela rend les repas et le partage de nourriture à table inutiles. Les aliments ultra-transformés peuvent être consommés à tout moment, n’importe où, souvent en étant divertis ou en travaillant, en marchant dans la rue, en conduisant ou en parlant au téléphone. Ce sont pour la plupart des situations isolées, déguisées par des publicités suggérant que de tels produits favorisent l’interaction sociale, ce qui n’est pas le cas.
L’ajout de sucres, sel et gras en font en outre des aliments quelque peu addictifs qui donnent envie de continuer à les consommer alors qu’on n’a plus faim, car le circuit du plaisir immédiat l’emporte sur celui de la satiété.
Leur hyper-standardisation en fait des aliments avec des goûts stéréotypés : ils procurent donc un plaisir gustatif immédiat sans risque au détriment des plats traditionnels ou locaux dont les goûts sont moins standardisés. Par ailleurs marques, emballages, étiquetages et contenus sont identiques mondialement. Des centaines de nouveaux produits sont commercialisés chaque année, ce qui conduit à un faux sentiment de la diversité : et en raison des campagnes agressives de promotion, les cultures alimentaires authentiques sont considérées comme inintéressantes.
Tout cela suggère aux enfants / jeunes que la culture et l’identité de leur pays, de leur région, de leur appartenance ethnique et de leurs traditions, y compris la culture et les habitudes alimentaires, sont ennuyeuses et les plats traditionnels sans goût. Les jeunes sont en particulier la ciblés par de grands fabricants, agissant de concert, menant à un faux sentiment d’appartenance à une culture de consommation supérieure, moderne et coûteuse. Beaucoup d’AUT sont en effet à destination des plus jeunes comme les confiseries, les sodas, les yaourts à boire, les barres chocolatées ou les céréales du petit-déjeuner.
Tout cela suggère aux enfants / jeunes que la culture et l’identité de leur pays, de leur région, de leur appartenance ethnique et de leurs traditions, y compris la culture et les habitudes alimentaires, sont ennuyeuses et les plats traditionnels sans goût.
Dans l’ensemble, les aliments ultra-transformés constituent une menace sérieuse pour la survie durable de la planète. Le besoin d’huiles bon marché, de sucre et d’autres matières premières pour les AUT crée des monocultures et des fermes produisant pour l’exportation et non pour la consommation locale. La culture intensive de matières premières dépend des pesticides et de l’utilisation intensive d’engrais et d’eau. La fabrication et la distribution de la plupart des AUT impliquent de longues voies de transport, et donc l’utilisation excessive d’énergie et d’eau non renouvelables, et l’émission de polluants. Tout cela entraîne la dégradation de l’environnement et la pollution, la perte de la biodiversité, ainsi que le drainage et la perte d’eau, d’énergie et d’autres ressources naturelles. La production et la consommation entraînent également la création des vastes quantités de déchets (emballages, plastiques), déversés dans des sites d’enfouissement « répugnants » et dangereux.
La production en masse d’ingrédients bon marché de monocultures intensives n’est pas en faveur des « petits » agriculteurs et paysans à travers le monde. Par exemple, les surplus de lait issu d’élevages intensifs de vaches laitières en Europe sont transformés en poudre de lait et exportés dans certains pays d’Afrique à bas coût, rendant le lait local plus cher, entrainant la disparition des petits éleveurs. On pourrait décliner les exemples à l’infini. Si les populations des pays émergents et en développement se mettent à consommer des plus en plus les AUT hyper-standardisés en remplacement des produits locaux et plats traditionnels cela se fera forcément au détriment des « petits » paysans.
Il semble donc exister un lien entre l’ultra-fractionnement de nos aliments naturels et l’explosion des maladies chroniques en réponse à ce fractionnement excessif. La destruction de l’harmonie au sein de l’aliment semble avoir en parallèle détruit l’harmonie au sein du corps humain qui réagit par toute une myriade de maladies chroniques, intolérances, hypersensibilité et autres syndromes…Aussi si le prix des AUT peut sembler bas pour notre porte-monnaie, il est en réalité excessivement cher pour la planète, hommes, animaux et environnement inclus !
Il existe des solutions pour enrayer la propagation des AUT dans le monde. Je propose tout d’abord, d’une point de vue scientifique, quatre changements de paradigmes : 1° Développer une approche plus holistique de l’aliment et l’alimentation, 2° Renforcer l’alimentation préventive et ne pas mettre tous les moyens dans le curatif pour corriger les effets délétères de régimes alimentaires déséquilibrés, 3° Reclasser les aliments selon leur degré de transformation, 4° Mettre l’accent en premier lieu sur l’effet « matrice » des aliments et non sur l’effet « composition ».
Enfin pour agir concrètement je propose trois niveaux d’actions :
Par le « haut » via les politiques, les industriels et la grande distribution : travailler avec les industriels pour développer des aliments moins transformés ; taxer les AUT (car il n’est pas normal que des « faux » aliments si peu vertueux soient moins chers que les vrais aliments, notamment afin de protéger les plus défavorisés qui consomment le plus ces AUT.
« Horizontalement » en informant et sensibilisant le grand public, notamment via les médias ; pour cela j’ai notamment élaboré la règle des 3V ou les trois règles d’or pour une alimentation saine, durable et éthique, à savoir manger végétal, vrai, varié. En effet le régime protecteur universel tel que défini par la science est un régime riche en produit végétaux (au moins 85% des calories quotidiennes) peu transformés (pas plus de 15% de calories ultra-transformées) et variés (si possible bio, locaux et de saison) ; en respectant ces 3 règles on protège à la fois notre santé, le bien-être animal et l’environnement, ce qui en font des règles holistiques.
Par le « bas » en développant l’éducation à l’alimentation préventive et holistique de 3 à 18 ans : il est urgent qu’une telle discipline fasse partie des programmes scolaires au niveau national, l’acte de manger important la santé humaine, les animaux et l’environnement, donc l’avenir de la planète.